La tuade du cochon : mémoire d’un rituel paysan ardéchois

Jérôme Alexandre

10/13/20257 min temps de lecture

Jusque dans la première moitié du XXᵉ siècle, la plupart des familles ardéchoises vivaient en quasi-autonomie. Avoir un cochon représentait un « coffre-fort sur pattes » : on l’élevait toute l’année avec les restes de la maison, les glands, les châtaignes (abondantes en Ardèche), puis on le tuait à l’approche de l’hiver.

A l’époque, il n’y avait pas de conservation moderne : sans frigo ni congélateur, la viande devait être transformée immédiatement en charcuteries et salaisons (saucissons, caillettes, jambons salés, pâtés, etc.), afin de pouvoir les conserver toute l’année.

En Ardèche, la tuade du cochon n’est pas seulement une méthode pour avoir de la charcuterie et de la viande, c’est un rituel communautaire qui marque le temps fort de l’hiver, un mélange de nécessité, de convivialité et d’identité paysanne.

Une entraide réciproque : quand on aidait un voisin à tuer son cochon, il venait ensuite aider à la maison. Cela renforçait la solidarité dans les hameaux ardéchois souvent isolés.

1. Le témoignage poignant de Joseph

Alors à présent installe-toi bien dans ton fauteuil. Joseph paysan Ardéchois de 95 printemps va te raconter comment ça se passait dans le petit village d’ardèche de Sécheras.

« Ah, la tuade du cochon… c’était pas seulement de la viande, tu sais, c’était tout un monde ! Dans nos campagnes d’Ardèche, on élevait «Lou cayou » (cochon en patois ardéchois) presque comme un membre de la famille. On lui donnait même un surnom, on le soignait bien .

On lui donnait les épluchures, les châtaignes tombées au sol, le petit-lait du fromage. Mon épouse Jeanne fabriquait du caillé Doux et du fromage de chèvre qui n’avait pas encore l’appellation picodon et c’est souvent elle qui faisait « la chaudière », elle préparait sa pâtée avec des légumes, des pommes de terres ...

On disait même parfois en riant : “le cochon, il nous garde tout, et il nous rend tout en mieux !”

Et puis, quand venait l’hiver, souvent en décembre ou janvier, à l’aube, moi qui étais tueur de cochon, couteau affûté et bonne humeur dans les yeux, j’arrivais dans la cour de la ferme. Mais je faisais toujours la traite avant de partir, il est vrai que durant l’hiver le travail dans les champs, c’était calme…la terre se reposait.

Ce jour-là, tout le hameau semblait en effervescence. Les femmes préparaient les grandes bassines, les hommes installaient la bête, et les enfants… ah les enfants, ils couraient partout, mi-curieux, mi-effrayés, mais toujours fiers d’assister “comme les grands”. J’ai eu récemment la confidence de ma petite Cécile, la petite dernière, qui m’a dit que pour elle ce jour de tuade à la maison était un déchirement, voir partir le cochon c’était toujours triste pour elle. Ce qui me rassure c’est que je l’ai toujours vu apprécier les grattons, pâtés et caillettes !

Quand j’étais petit dit Joseph j’avais dit au Curé qui m’interrogeait au catéchisme, « pour moi le plus beau jour de l’année c’est quand on tue le cochon ! »

Crédit photos Claude Fougeirol

Crédit photos Claude Fougeirol

Revenons à notre journée...

Quand j’avais saigné le cochon, le sérieux reprenait : fallait travailler vite. Mais une ambiance de fête régnait, les blagues et les histoires fusaient … On échaudait, on grattait, on découpait. Rien ne se perdait : le boudin partait au chaudron, la chair au hachoir, les boyaux se lavaient dans l’eau glacée du puits, une tâche réservée aux femmes. L’odeur de viande fraîche se mêlait à celle du bois de châtaignier qui flambait dans la cheminée.

Et puis venait le meilleur : le repas. C’est que depuis l’aube on avait simplement fait un petit casse-croûte, « un bout de pain » comme on dit chez nous, la faim était bien là ! On goûtait le boudin fumant, les femmes avaient préparé un repas consistant et les bouteilles de rouge circulaient de main en main. Les histoires roulaient plus vite que les verres, et on riait fort, comme pour dire à l’hiver : “tu peux venir, on est prêts !”. Le repas se finissait par un café et une petite goutte, l’occasion de sortir la prune ou la poire qui réchauffait avant de repartir car il y avait encore du travail…

C’était ça la tuade : pas seulement nourrir les corps, mais souder les familles, resserrer les amitiés. On repartait chacun chez soi avec du boudin dans un torchon, un peu de fricassée (morceaux de cœur, foie, poumon et bien entendu un morceau de panne) une ou deux saucisses fraîches, et surtout le cœur gonflé de chaleur humaine.

Aujourd’hui, ça se fait moins, la vie a changé… mais ceux qui l’ont vécue te diront tous : la tuade, c’était une fête de village à la maison, une école de solidarité, et un goût de vrai qui ne s’oublie pas… de l’authentique »

A partir des années 1960 c’est l’exode rural, la jeunesse quitte nos campagnes pour avoir un travail en ville, l’arrivée de la grande distribution et la réglementation sanitaire plus stricte fait que petit à petit la tradition de la tuade se perd. »

Merci Joseph pour ton témoignage.

2. La tuade du cochon aujourd’hui, une tradition qui perdure ?

Aujourd’hui la tuade survit surtout comme une fête patrimoniale ou familiale. Elle reste une mémoire vive dans les villages ardéchois et certains événements festifs ou associatifs la recréent pour transmettre ce savoir-faire.

En Ardèche à la faveur du climat et de la montagne, le séchage des saucissons et jambons trouvait des conditions idéales dans les caves et greniers, secs, mais pas trop, et aérés.

A présent revenons en 2025 ! Voilà maintenant quelques années que je transmets des recettes de charcuterie Ardéchoise avec Charcuterie club 07. 550 personnes ont déjà participé à plus de 100 ateliers. Cette folle aventure a commencé après les années COVID où j’ai rêvé mes ateliers … Puis j’ai rencontré les équipes Wecandoo qui m’ont aidé à structurer mon rêve ! Rapidement des passionnés de charcuterie sont arrivés de tous les coins de France : Niort, Carcassonne, Nice, Montargis, Lyon, Marseille, Grenoble, Paris… et de tous âges de 9 à 95 ans…

Quelle joie que ces moments de partage autour de la transformation du cochon. Attention, mon rêve n’a jamais été de former des charcutiers mais simplement de déverrouiller des clés et de lancer des passionnés qui n’osaient pas donner le premier coup de couteau et reprendre les rênes de nos ancêtres qui faisaient la tuade dans nos campagnes. Aujourd’hui on passe par la case abattoir, tous les cochons que je transforme sont élevés à la ferme des Carmes à Tournon sur Rhône en Ardèche.

Au fil des mois j’ai développé différents ateliers : Pâté Croute, Saucissons, Pâté, Saucisses, Caillettes. Vous souhaitez vous aussi apprendre à fabriquer vos propres charcuteries ? Retrouvez toutes les informations ici :

3. Les ateliers personnalisés autour du cochon

A présent, je voudrais revenir sur quelques demandes très particulières qui resteront de très belles pages de cette fabuleuse aventure.

Un appel de Pierre, la trentaine, qui souhaite faire un atelier sur une journée car il a un projet, un beau projet. Pierre doit rejoindre son épouse au Mexique. Son rêve est de créer une activité de charcuterie. Nous avons passé une journée mémorable en voyant les différents produits qu’il pourrait mettre en place. Il est reparti avec les yeux qui brillent et des projets plein la tête.

Nicolas, lui, rêve d’organiser un atelier avec son épouse, sa sœur et son beau-frère, une journée avec une immersion dans la découpe et transformation d’une demie carcasse. Ils veulent revivre l’époque ou dans sa famille on tuait le cochon, la tuade du cochon. Nous avons vécu une journée féérique avec le partage d’un repas Ardéchois à la maison. Le soir les glacières étaient pleines de cochon et les têtes de souvenirs…

Grace à ces demandes, j’ai aujourd’hui créé l’atelier découpe et transformation d’une demie carcasse de cochon. Cet atelier réservé à 4 personnes se déroule de 8h30 à 16h, si on ne joue pas les prolongations… Pendant ce stage vous apprendrez les bases de la boucherie en découpant la carcasse et en préparant différents morceaux à remporter chez vous, et des créations charcutières uniques à partager avec vos proches. Vous rêvez d’apprendre à faire par vous-même, alors n’attendez plus, cet atelier est fait pour vous.

Vous l’aurez compris, nous nous devons de ne pas perdre ces gestes et ces traditions Ardéchoises et Françaises, que nos ancêtres faisaient dans les campagnes. Savoir revenir à nos racines et reprendre notre destin en main me semble une évidence.

Osez le fait maison… Formez vous ! J’ai rêvé Charcuterie club 07 pour Vous .

A bientôt les passionnés de la charcuterie

Jérôme ALEXANDRE